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LE CIEL SE COUVRE.

pressa d’aller réclamer son lorgnon, qui lui fut remis avec de grandes démonstrations de politesse, auxquelles il se garda de répondre. Ses désirs satisfaits, il revenait immédiatement à son insolence naturelle.

À huit heures, les ânes et les âniers renvoyés et payés, tous les voyageurs, toilette faite, se retrouvèrent, exténués, affamés, autour de la table du Seamew, et jamais la cuisine du maître-coq n’eut autant de succès.

Revenus quelques instants auparavant, les jeunes mariés étaient aussi à la table commune. Où avaient-ils passé ces jours ? Peut-être ne le savaient-ils pas. Évidemment, ils n’avaient rien vu, et, maintenant encore, ils ne voyaient rien de ce qui n’était pas eux-mêmes.

Saunders, lui, n’avait pas les mêmes raisons d’être distrait. Et ce qu’il discernait remplissait d’aise cet aimable gentleman. Quelle différence entre ce dîner et celui de la veille ! Hier, on causait gaiement, on était joyeux. Aujourd’hui, les convives montraient des visages sombres et mangeaient en silence. Décidément, cette fantaisie du déjeuner ne passait pas aussi bien que Thompson avait osé l’espérer. Saunders ne put jusqu’au bout contenir son bonheur. Il fallait nécessairement que Thompson en reçût quelque éclaboussure.

« Steward ! appela-t-il d’une voix éclatante, encore un peu de ce romsteck, je vous prie.

Puis, s’adressant à travers la table au baronnet, son compère :

— La nourriture des hôtels de premier ordre, ajouta-t-il avec une ironique emphase, a du moins cela de bon qu’elle rend supportable celle du bord. »

Thompson sauta sur sa chaise comme s’il eût été piqué par un insecte. Il ne répliqua rien cependant. Et vraiment, qu’aurait-il pu répondre ? L’opposition, cette fois, avait pour elle l’opinion publique.