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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

volture avec laquelle les traitait ce Thompson ? Des protestations allaient naître, des déchirements survenir, et des drames. Saunders, à cette pensée, se sentait d’une humeur charmante.

Et, de fait, il semblait bien que la colère couvât au cœur des passagers. Ils parlaient peu. Absence d’études préalables des excursions, manque total d’organisation, on prenait évidemment fort mal ces fantaisies de l’Administrateur Général.

Robert comprenait aussi, et autant que Saunders, à quelle épreuve Thompson, par son imprévoyance, mettait la patience de ses souscripteurs. Quel repas, pour ces bourgeois aisés habitués au confort, pour ces femmes élégantes et riches ! Mais, contrairement à Saunders, loin de s’égayer de cette situation, il s’efforçait de réparer dans la mesure de ses forces les erreurs de son chef hiérarchique.

En furetant dans les masures du village, il découvrit une petite table à peu près convenable et des escabeaux à peu près complets. Aidé de Roger, il transporta à l’ombre d’un cèdre ce butin, qui fut offert aux dames Lindsay. En continuant leur chasse, les deux jeunes gens firent d’autres trouvailles. Des serviettes, quelque vaisselle, des couteaux, trois couverts d’étain, — presque du luxe ! — En peu de minutes, les trois passagères américaines eurent devant elles une table du plus séduisant aspect.

Si les deux Français avaient eu besoin d’un salaire, ils se fussent jugés largement payés par le regard dont les gratifièrent les deux sœurs. Évidemment, ils leur avaient sauvé plus que la vie, en leur évitant de manger avec les doigts. Mais tout payement eut été usuraire. Cette chasse mouvementée avait été par elle-même un plaisir. Emporté par la gaieté, Robert sortait de son habituelle réserve. Il riait, plaisantait, et, sur l’invitation de Roger, il ne fit aucune difficulté pour prendre place à la table dressée grâce à son zèle ingénieux.

Cependant, on commençait à servir le déjeuner, si l’on peut employer cet euphémisme. Les cuisiniers improvisés s’étaient