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LE CIEL SE COUVRE.

angoissé, Thompson enfin prit son parti. Appelant Robert à son secours, il se dirigea vers la plus vaste chaumière, sur la porte de laquelle un homme à l’air de brigand s’accoudait, en contemplant le spectacle pour lui insolite de la caravane anglaise. Ce ne fut pas sans peine que Robert réussit à comprendre le patois barbare de ce paysan. Il y parvint cependant, et Thompson put annoncer que le déjeuner serait servi dans une heure.

À cette annonce, de violents murmures éclatèrent. C’était dépasser les bornes. Thompson dut déployer tout son génie. Allant de l’un à l’autre, il prodigua les amabilités les plus délicates, les compliments les plus flatteurs. Qu’on lui fît crédit de cette heure. Il avait annoncé que le déjeuner serait prêt à trois heures et demie, il le serait.

Il le fut.

Le paysan s’était éloigné rapidement. Il revint bientôt accompagné de deux indigènes mâles et de cinq ou six du sexe opposé. Tout ce monde conduisait les animaux qui devaient faire les frais du repas, et parmi lesquels figurait une vache à la tête ornée de cornes gracieuses, et dont la taille ne dépassait pas quatre-vingts centimètres, soit à peu près celle d’un gros chien.

« C’est une vache de Corvo, dit Robert. Cette île a la spécialité de cet élevage de modèle parfait mais réduit. »

Le troupeau et ses conducteurs disparurent dans l’intérieur. Une heure plus tard, Thompson put annoncer que le déjeuner était prêt.

Ce fut un repas bien singulier.

Quelques-uns des touristes seulement avaient réussi à trouver place dans la maison. Les autres s’étaient installés le mieux possible en plein air, qui sur le pas d’une porte, qui sur une grosse pierre. Chacun, sur ses genoux, tenait une calebasse, à laquelle était dévolu le rôle de l’assiette absente. Quant aux cuillères et fourchettes, il eut été insensé d’y songer.

En voyant ces préparatifs, Saunders s’égayait fort. Était-il possible que des gens convenables tolérassent l’incroyable désin-