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pointant dans la direction du nord, le cotre commença à mordre sur le vent, qui adonnait en retombant peu à peu. Ces tempêtes de nord-est ne sont malheureusement pas rares, même en été.

Soit qu’elles ne durent que deux ou trois heures, soit qu’elles se déchaînent pendant une semaine entière, elles apportent les brumes glaciales du golfe et inondent la vallée de pluies torrentielles.

Il était huit heures du soir. Pierre Harcher ne s’était pas trompé à la vue de certains nuages, déliés comme des flèches, qui annonçaient la bourrasque. Il n’était que temps d’aller chercher l’abri de la côte septentrionale.

Cinq à six lieues au plus séparent la Rivière-du-Loup de l’embouchure du Saguenay. Elles furent rudes à enlever. Le coup de vent s’abattit comme une trombe sur le Champlain, lorsqu’il n’était qu’au tiers de la route. Il fallut réduire la voilure au bas ris, et encore la cotre se trouva-t-il forcé jusqu’à faire craindre que la mâture ne se rompît au ras du pont. La surface du fleuve, démontée comme la mer devait l’être dans le golfe, se soulevait en énormes lames, qui tamponnaient l’étrave du Champlain et le couvraient en grand. C’était dur pour une embarcation d’une douzaine de tonneaux. Mais son équipage était plein de sang-froid, habile à la manœuvre. Plus d’une fois déjà, il avait essuyé de grosses tempêtes, lorsqu’il s’aventurait au large entre Terre-Neuve et l’île du Cap Breton. Donc il était permis de compter sur ses qualités marines comme sur la solidité de sa coque.

Cependant Pierre Harcher eut fort à faire pour atteindre l’embouchure du Saguenay, et dut lutter pendant trois longues heures. Lorsque le jusant se fut établi, s’il favorisa la dérive du cotre, il rendit le choc des lames plus redoutable encore. Qui n’a pas été pris dans une de ces bourrasques de nord-est, à travers la vallée si largement découverte du Saint-Laurent, ne saurait en imaginer les violences. Elles sont un véritable fléau pour les comtés situés en aval de Québec.

Heureusement, le Champlain, après avoir trouvé l’abri de la rive