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de la terre à la lune.

vingt-quatre dont nous parlait avant-hier l’honorable J.-T. Maston en termes si poétiques, n’est chassé de la bouche à feu que par seize livres de poudre seulement.

— Vous êtes certain du chiffre ? demanda Barbicane.

— Absolument certain, répondit le major. Le canon Armstrong n’emploie que soixante-quinze livres de poudre pour un projectile de huit cents livres, et la Columbiad Rodman ne dépense que cent soixante livres de poudre pour envoyer à six milles son boulet d’une demi-tonne. Ces faits ne peuvent être mis en doute, car je les ai relevés moi-même dans les procès-verbaux du Comité d’artillerie.

— Parfaitement, répondit le général.

— Eh bien ! reprit le major, voici la conséquence à tirer de ces chiffres, c’est que la quantité de poudre n’augmente pas avec le poids du boulet : en effet, s’il fallait seize livres de poudre pour un boulet de vingt-quatre ; en d’autres termes, si, dans les canons ordinaires, on emploie une quantité de poudre pesant les deux tiers du poids du projectile, cette proportionnalité n’est pas constante. Calculez, et vous verrez que, pour le boulet d’une demi-tonne, au lieu de trois cent trente-trois livres de poudre, cette quantité a été réduite à cent soixante livres seulement.

— Où voulez-vous en venir ? demanda le président.

— Si vous poussez votre théorie à l’extrême, mon cher major, dit J.-T. Maston, vous arriverez à ceci, que, lorsque votre boulet sera suffisamment lourd, vous ne mettrez plus de poudre du tout.

— Mon ami Maston est folâtre jusque dans les choses sérieuses, répliqua le major, mais qu’il se rassure ; je proposerai bientôt des quantités de poudre qui satisferont son amour-propre d’artilleur. Seulement je tiens à constater que, pendant la guerre, et pour les plus gros canons, le poids de la poudre a été réduit, après expérience, au dixième du poids du boulet.

— Rien n’est plus exact, dit Morgan. Mais avant de décider la quantité de poudre nécessaire pour donner l’impulsion, je pense qu’il est bon de s’entendre sur sa nature.

— Nous emploierons de la poudre à gros grains, répondit le major ; sa déflagration est plus rapide que celle du pulvérin.

— Sans doute, répliqua Morgan, mais elle est très-brisante et finit par altérer l’âme des pièces.

— Bon ! ce qui est un inconvénient pour un canon destiné à faire un long service n’en est pas un pour notre Columbiad. Nous ne courons aucun danger d’explosion, il faut que la poudre s’enflamme instantanément, afin que son effet mécanique soit complet.