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attaque et riposte.

admettant que vous arriviez sain et sauf dans la Lune, comment reviendrez-vous ?

— Je ne reviendrai pas ! »

À cette réponse, qui touchait au sublime par sa simplicité, l’assemblée demeura muette. Mais son silence fut plus éloquent que n’eussent été ses cris d’enthousiasme. L’inconnu en profita pour protester une dernière fois.

« Vous vous tuerez infailliblement, s’écria-t-il, et votre mort, qui n’aura été que la mort d’un insensé, n’aura pas même servi la science !

— Continuez, mon généreux inconnu, car véritablement vous pronostiquez d’une façon fort agréable.

— Ah ! c’en est trop ! s’écria l’adversaire de Michel Ardan, et je ne sais pas pourquoi je continue une discussion aussi peu sérieuse ! Poursuivez à votre aise cette folle entreprise ! Ce n’est pas à vous qu’il faut s’en prendre !

— Oh ! ne vous gênez pas !

— Non ! c’est un autre qui portera la responsabilité de vos actes !

— Et qui donc, s’il vous plaît ? demanda Michel Ardan d’une voix impérieuse.

— L’ignorant qui a organisé cette tentative aussi impossible que ridicule ! »

L’attaque était directe. Barbicane, depuis l’intervention de l’inconnu, faisait de violents efforts pour se contenir, et « brûler sa fumée » comme certains foyers de chaudières ; mais, en se voyant si outrageusement désigné, il se leva précipitamment et allait marcher à l’adversaire qui le bravait en face, quand il se vit subitement séparé de lui.

L’estrade fut enlevée tout d’un coup par cent bras vigoureux, et le président du Gun-Club dut partager avec Michel Ardan les honneurs du triomphe. Le pavois était lourd, mais les porteurs se relayaient sans cesse, et chacun se disputait, luttait, combattait pour prêter à cette manifestation l’appui de ses épaules.

Cependant l’inconnu n’avait point profité du tumulte pour quitter la place. L’aurait-il pu, d’ailleurs, au milieu de cette foule compacte ? Non, sans doute. En tout cas, il se tenait au premier rang, les bras croisés, et dévorait des yeux le président Barbicane.

Celui-ci ne le perdait pas de vue, et les regards de ces deux hommes demeuraient engagés comme deux épées frémissantes.

Les cris de l’immense foule se maintinrent à leur maximum d’intensité pendant cette marche triomphale. Michel Ardan se laissait faire avec un plaisir évident. Sa face rayonnait. Quelquefois l’estrade semblait prise de tangage et de roulis comme un navire battu des flots. Mais les deux héros du meeting avaient le pied marin ; ils ne bronchaient pas, et leur vaisseau arriva sans avaries au port de Tampa-Town.