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pour le déjeuner dans un caravansérail situé à quinze cents mètres d’altitude, puis, par le village de Terni et les Montagnes-Noires, au-delà de l’Oued-Sakaf, elle atteignit Tlemcen.

Après cette rude étape, un bon hôtel reçut tout ce monde, qui devait y séjourner trente-six heures.

Durant la route, Jean Taconnat s’était tenu à l’écart, répondant à peine aux démonstrations quasi paternelles de M. Dardentor. À son désappointement se mêlait une certaine dose de honte. Lui, l’obligé de celui dont il voulait faire le sien ! Aussi, ce matin-là, après avoir boudé depuis la veille, sauta-t-il hors de son lit, et réveilla-t-il Marcel Lornans en l’apostrophant de la sorte :

« Eh bien !… qu’en dis-tu ? »

Le dormeur n’en pouvait rien dire par la raison que sa bouche n’était pas plus ouverte que ses yeux.

Et son cousin allait, venait, gesticulait, croisait les bras, se dépensait en récriminations bruyantes. Non ! il ne prendrait plus les choses gaiement, comme il l’avait promis ! Il était décidé à les prendre au tragique.

Enfin, sur la question qui lui fut de nouveau posée, le Parisien, se redressant, ne trouva que ceci à répondre :

« Ce que je dis, Jean, c’est que tu te calmes ! Lorsque la malchance se prononce si catégoriquement, le mieux est de se soumettre…

— Ou de se démettre ! riposta Jean Taconnat. Je la connais, celle-là, et je n’en ferai pas ma devise ! Non, en vérité, c’est trop fort ! Quand je songe que sur trois des conditions imposées par le code, il s’en est présenté deux, les flots et les flammes ! Et cet inqualifiable Dardentor qui aurait pu être enveloppé par les flammes du train, qui aurait pu disparaître sous les flots du Sâr, et que peut-être toi ou moi nous eussions sauvé… c’est lui qui a joué ce rôle de sauveteur !… Et c’est toi, Marcel, que l’incendie, et moi, Jean, que la noyade ont choisis pour victimes !…

— Veux-tu mon avis, Jean ?…

— Va, Marcel.