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maines s’écouleraient jusqu’à l’accomplissement de cette cérémonie nuptiale… si elle s’accomplissait… Mais, à vrai dire, s’accomplirait-elle ?…

Ce « si » et ce « mais » voltigeaient volontiers à travers le cerveau de Marcel Lornans. Il lui semblait invraisemblable que ce garçon devînt le mari de cette adorable jeune fille, car, si peu qu’il l’eût aperçue sur le pont de l’Argèlès, il trouvait que c’eût été manquer à ses devoirs que de ne pas l’adorer. Que M. et Mme Désirandelle vissent dans leur Agathocle un époux parfaitement convenable pour Louise, cela s’explique. De tout temps, un père et une mère ont été doués d’un « coup de rétine » spécial, comme dirait M. Dardentor, à l’égard de leur progéniture. Mais il était inadmissible que — tôt plutôt que tard — le Perpignanais ne se rendît pas compte de la nullité d’Agathocle et ne reconnût que deux êtres si différents n’étaient point faits l’un pour l’autre.

À huit heures et demie, M. Dardentor et les Parisiens se rencontrèrent dans la salle à manger de l’hôtel, devant la table du premier déjeuner.

Clovis Dardentor se sentait de joyeuse humeur. Il avait bien dîné la veille, il avait bien dormi la nuit. Avec un excellent estomac, un excellent sommeil, une conscience tranquille, si l’on n’est pas sûr du lendemain, pourra-t-on jamais l’être ?

« Jeunes gens, dit M. Dardentor, en trempant sa brioche dans une tasse de chocolat meniérien de qualité extra-supérieure, nous ne nous sommes pas vus depuis hier au soir, et cette séparation m’a paru longue.

— Vous nous êtes apparu en rêve, monsieur Dardentor, répliqua Jean Taconnat, la tête entourée d’un nimbe…

— Un saint, quoi !

— Quelque chose comme le patron des Pyrénées-Orientales !

— Ah ! ah ! monsieur Jean, vous avez donc repigé votre gaieté naturelle ?…

— Repigé… comme vous dites, affirma Marcel Lornans, mais il est exposé à la reperdre.