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En vérité, il est fort à son aise, mon numéro 11 ! Il est là dans sa chambre comme l’escargot dans sa coquille. Son « home » roule avec lui, et il économise le millier de francs que lui aurait coûté le voyage de Tiflis à Pékin, fût-ce en seconde classe. Je le sais, cela s’appelle frauder, et il y a des lois qui punissent cette fraude. En attendant, il peut sortir de sa caisse, quand cela lui plaît, se promener à l’intérieur du fourgon, se hasarder même, la nuit, sur la plate-forme… Non ! je ne le plains pas, et, quand je songe qu’il s’est fait enregistrer à l’adresse d’une jolie Roumaine, je prendrais volontiers sa place.

Il me vient une idée que je crois bonne et qui ne l’est peut-être pas : c’est de frapper un coup léger au panneau de la caisse, c’est d’entrer en rapport avec mon nouveau compagnon, c’est d’apprendre qui il est et d’où il vient, puisque je sais où il va. Une ardente curiosité me dévore… Il faut que je la satisfasse… Il y a des moments où un chroniqueur est métamorphosé en fille d’Ève !

Mais, ce pauvre garçon, comment va-t-il prendre la chose ?… Très bien, j’en suis sûr. Je lui dirai que je suis Français, et un Roumain n’ignore pas qu’il peut toujours se fier à un Français. Je lui offrirai mes services… Je lui proposerai d’adoucir les rigueurs de sa prison par mes interviews, et de combler l’insuffisance de son ordinaire avec quelques friandises… Il n’aura pas à regretter mes visites ni à craindre mes imprudences.

Je frappe le panneau…

La lumière s’éteint subitement.

Le prisonnier a suspendu sa respiration…

Il convient de le rassurer.

« Ouvrez… dis-je doucement en russe… ouvrez… »

Je n’ai pu achever ma phrase, car le train vient d’éprouver une secousse, et il me semble que sa vitesse se ralentit.

Cependant nous ne sommes pas encore arrivés à la station de Ghéok-Tepé.

En ce moment, des cris se font entendre au dehors.