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— À la Ferté-sous-Jouarre, où madame Caterna a obtenu un véritable succès dans le rôle d’Elsa de Lohengrin, que nous avons joué sans musique. Mais aussi quelle pièce intéressante et bien faite !

— Vous avez dû courir le monde, monsieur Caterna ?

— Je vous crois, la Russie, l’Angleterre, les deux Amériques. Ah ! monsieur Claudius… »

Il m’appelle déjà Claudius.

« Ah ! monsieur Claudius, il fut un temps où j’étais l’idole de Buenos-Ayres et la toquade de Rio-Janeiro ! Ne croyez pas que je vous en conte ! Non ! je me connais ! Mauvais à Paris, je suis excellent en province ! À Paris, on joue pour soi. En province, on joue pour les autres ! Et puis quel répertoire !

— Mes compliments, cher compatriote.

— Je les accepte, monsieur Claudius, car j’aime mon métier. Que voulez-vous ? Tout le monde ne peut pas prétendre à devenir sénateur ou… reporter !

— Ça, c’est méchant, monsieur Caterna, dis-je en riant.

— Non… c’est le mot de la fin. »

Et tandis que l’intarissable trial dévidait son chapelet, des stations apparaissaient au passage entre deux coups de sifflet, Kulka, Nisachurch, Kulla-Minor et autres, tristes d’aspect ; puis Bairam-Ali, à la verste sept cent quatre-vingt-quinze, et Kourlan-Kala à la verste huit cent quinze.

« Et pour tout dire, continue M. Caterna, nous ne sommes pas sans avoir gagné un peu d’argent à nous balader de ville en ville. Il y a au fond de notre malle quelques obligations du Nord, dont je fais le plus grand cas, placement de tout repos, et cela honnêtement acquis, monsieur Claudius ! Mon Dieu, je le sais, quoique nous vivions sous le régime démocratique, le régime de l’égalité, le temps est encore loin où l’on verra le père noble dîner à côté de la préfète chez le président de cour d’appel, et la dugazon ouvrir le bal avec le préfet chez le général en chef !… Eh bien ! on dîne et on danse entre soi…