Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« La Lune, prenant en pitié le souverain cher aux enfants de l’Unyamwezy, nous a confié le soin de sa guérison. Qu’il se prépare à nous recevoir ! »

Les clameurs, les chants, les démonstrations redoublèrent, et toute cette vaste fourmilière de têtes noires se remit en mouvement.

« Maintenant, mes amis, dit le docteur Fergusson, il faut tout prévoir ; nous pouvons, à un moment donné, être forcés de repartir rapidement. Dick restera donc dans la nacelle, et, au moyen du chalumeau, il maintiendra une force ascensionnelle suffisante. L’ancre est solidement assujettie ; il n’y a rien à craindre. Je vais descendre à terre. Joe m’accompagnera ; seulement, il restera au pied de l’échelle.

— Comment ! tu iras seul chez ce moricaud ? dit Kennedy.

— Comment ! monsieur Samuel, s’écria Joe, vous ne voulez pas que je vous suive jusqu’au bout ?

— Non, j’irai seul ; ces braves gens se figurent que leur grande déesse la Lune est venue leur rendre visite, je suis protégé par la superstition ; ainsi, n’ayez aucune crainte, et restez chacun au poste que je vous assigne.

— Puisque tu le veux, répondit le chasseur.

— Veille à la dilatation du gaz.

— C’est convenu. »

Les cris des indigènes redoublaient ; ils réclamaient énergiquement l’intervention céleste.

« Voilà ! voilà ! fit Joe. Je les trouve un peu impérieux envers leur bonne Lune et ses divins Fils. »

Le docteur, muni de sa pharmacie de voyage, descendit à terre, précédé de Joe. Celui-ci grave et digne comme il convenait, s’assit au pied de l’échelle, les jambes croisées sous lui à la façon arabe, et une partie de la foule l’entoura d’un cercle respectueux.

Pendant ce temps, le docteur Fergusson, conduit au son des instruments, escorté par des pyrrhiques religieuses, s’avança lentement vers le « tembé royal », situé assez loin hors de la ville ; il était environ trois heures, et le soleil resplendissait ; il ne pouvait faire moins pour la circonstance.

Le docteur marchait avec dignité ; les « Waganga » l’entouraient et contenaient la foule. Fergusson fut bientôt rejoint par le fils naturel du sultan, jeune garçon assez bien tourné, qui, suivant la coutume du pays, était le seul héritier des biens paternels, à l’exclusion des enfants légitimes ; il se prosterna devant le Fils de la Lune ; celui-ci le releva d’un geste gracieux.