Page:Verne - César Cascabel, 1890.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
césar cascabel.

dessus leurs vêtements, les maillots déteints de M. Cascabel, les jupes défraîchies de Cornélia, les casaques de leurs enfants, le casque à panache de Clou-de-Girofle ! Et le piston dans lequel l’un soufflait à perdre haleine, le trombone dont l’autre tirait des sons invraisemblables, et le tambour, la grosse caisse, tous ces instruments d’un orchestre forain, qui contribuaient par leur assourdissant vacarme à l’éclat de la fête !

C’est alors que M. Cascabel hurlait contre ces coquins, contre ces voleurs, qui se permettaient d’user ses costumes, qui risquaient de désarticuler son trombone, de fausser son piston, de crever sa grosse caisse !

« Canailles !… Canailles ! » répétait-il, et M. Serge lui-même ne parvenait pas à le calmer.

En se prolongeant de la sorte, la situation commençait à devenir énervante, tant s’écoulaient lentement les jours et les semaines ! Et puis, quelle serait la fin de cette aventure, si même elle en avait une ? Toutefois, le temps qui ne pouvait plus être employé aux exercices — et M. Cascabel pensait que son personnel serait singulièrement rouillé quand il arriverait à la foire de Perm, — ce temps ne s’écoulait pas sans quelque profit. Dans le but de réagir contre le découragement, M. Serge ne cessait d’intéresser ses auditeurs par ses récits et ses leçons.

En revanche, M. Cascabel avait voulu lui apprendre plusieurs tours de passe-passe, et d’escamotage — pour son plaisir, disait-il. Mais, en réalité, cela pourrait servir à M. Serge, s’il devait jamais jouer au naturel le rôle de saltimbanque, afin de mieux tromper la police moscovite. Quant à Jean, il s’occupait de compléter l’instruction de la jeune Indienne. L’élève s’exerçait à lire et à écrire sous la direction de son jeune professeur. Kayette avait une si vive intelligence, et Jean montrait tant de zèle pour la développer ! Était-il donc dit que ce brave garçon, si passionné pour l’étude, si heureusement doué, ne serait jamais qu’un pauvre forain, qu’il ne parviendrait pas à s’élever dans l’ordre social ? Mais, cela, c’était le secret de l’avenir, et quel