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au village des coquins

« Tu avais donc bien peur de ces gens-là, Cornélia ? lui demanda-t-il.

— Très peur », se contenta-t-elle de répondre.

Les trois jours qui suivirent s’écoulèrent sans amener aucun incident et, ainsi que le guide l’avait annoncé, on arriva enfin sur l’extrême limite de la Colombie.

La Belle-Roulotte, ayant heureusement franchi la frontière alaskienne, put alors s’arrêter.

Une fois là, il ne restait plus qu’à régler avec l’Indien, qui s’était montré aussi zélé que fidèle, et à le remercier de ses services. Puis Ro-No prit congé de la famille, après avoir indiqué quelle direction elle devrait suivre pour se rendre par le plus court à Sitka, la capitale des possessions russes.

Maintenant qu’il n’était plus sur un territoire anglais, il semblait que M. Cascabel aurait dû respirer plus à l’aise. Mais non ! Au bout de trois jours, il n’était pas encore remis de la scène qui s’était passée au village des Coquins. Il avait toujours cela sur le cœur. Aussi ne put-il s’empêcher de dire à Cornélia :

« Tu aurais dû me laisser retourner en arrière pour régler son compte à ce mylord…

— C’était fait, César ! » répondit simplement Mme Cascabel.

Oui !… fait et bien fait !

Pendant la nuit, tandis que tout son monde était endormi au campement, Cornélia avait été rôder autour de la maison du baronnet, et, l’ayant aperçu au moment où il sortait pour se rendre à l’affût, elle l’avait suivi pendant quelques centaines de pas. Et, dès qu’il fut engagé dans le bois, « le premier prix du concours de Chicago » lui avait administré une de ces rossées qui vous couchent proprement un homme sur le sol. Sir Edward Turner, tout meurtri, n’avait été relevé que le lendemain, et il devait longtemps porter les marques de sa rencontre avec cette aimable femme.

« Ô Cornélia… Cornélia !… s’écria son mari, en la serrant dans ses bras, tu as vengé mon honneur… Tu étais bien digne d’être une Cascabel ! »