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l’épave du cynthia.

de l’île d’une bande de glace de plusieurs pieds d’épaisseur.

Quinze jours s’écoulèrent dans cette relâche ; puis, l’Alaska remonta le détroit de Davis en longeant la côte groënlandaise et franchit le cercle polaire.

Le 28 mai, il rencontra pour la première fois des glaces flottantes par 70°15’ de latitude nord avec une température de deux degrés au-dessous de zéro. Ces premières glaces étaient, il est vrai, dans un état complet d’émiettement ou dérivaient par petites bandes isolées. Mais bientôt elles devinrent plus denses, et il fallut fréquemment, pour avancer, se frayer un passage à coups d’éperon. La navigation n’offrait encore ni dangers sérieux ni difficultés réelles. À mille signes on s’apercevait pourtant que c’était là un monde nouveau. Tous les objets un peu éloignés semblaient sans couleur et pour ainsi dire sans corps. L’œil ne savait où se reposer dans la perpétuelle mobilité des horizons, dont l’aspect se modifiait à chaque minute par l’action dissolvante des lames ou du soleil sur les masses flottantes. Mais c’était surtout la nuit, et sous les rayons du foyer électrique allumé dans le « nid-de-corbeau » de l’Alaska, que la mer de Baffin, où l’on venait d’entrer, prenait des aspects fantastiques.

« Qui pourrait, a dit un témoin oculaire, rendre ces images mélancoliques, les bruissements du flot sous les glaçons errants, le bruit singulier des