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souvenirs et promenades

conversation qui me captivait véritablement et par elle-même et plutôt, je crois, encore, surtout par la personne et la personnalité de mon interlocutrice, la porte s’ouvrit et Victor Hugo parut à mes yeux pour la première fois.

Je connaissais Victor Hugo d’après l’immense quantité vue de portraits-lithographies, glabres en toupet Louis-Philippe, les daguerréotypies en coup de vent d’un peu après, en saule pleureur du coup d’Etat, puis les premières photographies, en barbe poussante et en cheveux tondus, de chez Pierre Petit. Au moment précis dont je parle, ses cheveux plutôt sel que poivre, sa barbe plutôt poivre que sel, et sa moustache presque noire encore, le faisaient positivement beau ; c’est à mon sens le point culminant de son physique, dans le sens un peu vulgaire que je suis bien forcé, pour être très français, d’employer ici. Joints à cela, pour la face, de petits yeux restés brillants, non sans malice, des traits réguliers dont un nez plutôt fort, de bonnes dents, le teint quelque peu hâlé, peu de rides encore : il portait bien et très bien ses soixante-cinq ans sonnés. Vêtu de noir et de large, il tenait à la main un chapeau de feutre de haute forme qu’il déposa sur un guéridon ; sans attendre que sa femme eût fini de me présenter, il me tendit la main et, tandis que