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mémoires d’un veuf

rire de Silvestre, un nouveau venu, rude recrue, se mariait à la jovialité délicate de Blémont, un autre conscrit, depuis longtemps sorti du rang, et c’était entre Ricard et votre serviteur en ces jours-là républicain, — je l’ai dit plus haut, — et du rouge le plus noir, je vous en réponds, un assaut toujours loyal, quelquefois bruyant, de paradoxes révolutionnaires qui faisait sourire la splendide barbe flave de notre éditeur et ami Lemerre, aux « dieux pareil ».

Mérat arrivait, battu aux champs dans l’escalier par les sauts sur les marches de sa canne légendaire toujours portée à deux mains derrière le dos, et pressenti au parfum choisi d’un cigare éternellement renaissant de ses cendres ; il s’appuyait au mur dans une pose élégante, émettait entre deux spirales l’exquise fumée quelques aphorismes horriblement hétérodoxes en ces lieux tels que « un peu de passion ne nuit pas » ou « … les Prunes de Daudet sont enfantines, mais il y a là deux ou trois vers gentils », ou bien, « ne me parlez que de Venise actuelle ou du Bas-Bréau », et content d’avoir créé une émotion légitime, disparaissait au bruit triomphal de sa canne dans un nuage embaumant.

Villiers de l’Isle Adam, son rival en courtes apparitions survenait effaré, essoufflé, comme on se représenterait Balzac venant de marier Rastignac ou de « suicider » Lucien de Rubempré : lui, Villiers,