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NUIT NOIRE


Le boulevard Sébastopol bruit et poudroie dans le soleil d’une belle après-midi de janvier.

Le froid est vif. Collets de fourrures et cache-nez se dressent et s’enroulent autour des cous masculins.

Les femmes bien mises sont très malheureuses avec leurs manchons de poupées et leurs Gainsborougs sans voilettes. L’ouvrière et la bonne vieille se sont serré sur la nuque la capeline réputée laide mais prouvée commode. Le gamin bat du pied et le cocher des bras. Il fait bon marcher après déjeuner en humant un cigare bien sec. Délicieux ce temps-là.

Mais que de pauvres, donc ! Des tas de culs-de-jatte à grosse moustache goguenarde, des bonnes aventures de toute couleur à leur boutonnière, rampent et glapissent, une flotte d’Italiens mâles et femelles rougeoie et pue au son de la cornemuse et du violon, les manchots traditionnels et les estropiés de tous les membres possibles ou autres fourmillent et encombrent.