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pierre duchatelet

un bruit d’un tas de crécelles tournant pas à l’unisson, grêle, sec, terriblement précipité, crépitait, pétillait sur la droite : c’était la division Chose qui attaquait des positions sur la Marne, une démonstration pour nous faciliter le travail de l’artillerie.

Le clairon donna le signal d’avancer. Les tirailleurs se relevèrent, marchant le dos courbé, la main sur la gâchette, puis mirent le genou en terre.

— Feu à volonté ! signifia le clairon.

Le commandement s’exécuta à la lettre. Ce fut une belle pétarade dont il est à redouter que l’ennemi, derrière ses murs, ne souffrit pas plus que ça.

Pierre passait par des sensations qu’il est inutile de décrire, étant donné les deux amours qui le poignaient maintenant, sa femme et la Patrie. Cette dernière, toutefois, maintenant qu’il se battait pour elle, l’emportait de tout le poids d’une chose générale, traditionnelle, cordiale aussi, parbleu ! dans la balance, oscillante un instant, de ses tendresses. Et ce fut, de toute sa vie, la plus grande émotion, la meilleure joie, que ce danger réel, cruel, que ce courage froid de la guerre moderne, toute topographique et panoramique, pour la « pauvre Patrie ! » comme il avait dit en s’enrôlant ! Maintenant, qu’il mourût, que lui faisait ! puisque c’eût été le sacrifice par excellence, — et puis, des