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élégies

Las d’aventures, fous d’aimer et d’en souffrir,
Mais indulgents à nos ingrats, prêts à mourir
Mains dans la main, ainsi que tels vaincus, bons frères,
Opposant cordialement aux sorts contraires
La résignation de l’ultime amitié.

Tu vois, pour te complaire, ô meilleure moitié
De mon être, je bride et romps l’élan farouche
Vers tes sens de mes sens, et j’impose à ma bouche
Le silence des mots brûlants et des baisers,
Et je voudrais, pour voir tes lourds deuils apaisés,
T’être un des frères dont je parlais tout à l’heure
Et que tu fusses une sœur pour qui je meure
Ou je vive plutôt, faisant tout pour la paix
De la tristesse inexpugnable où tu te plais.
Quoi qu’en dise et qu’en fasse en son pieux manège,
La gaîté que tu feins, sachant qu’elle m’allège
Le fardeau lourd aussi de ma tristesse aussi,
Ô femme ! ô sœur ! ô tout mon précieux souci !

Incorrigibles, nous ! d’être mélancoliques.
Seulement, toi, grand cœur fidèle sans obliques
Détours, mais aux soudains et foudroyants retours.
Tu saignes en ton dam d’antan saignant toujours.
Tu fais bien puisque ta vocation est telle.
Pourtant mon propre ennui, ma blessure immortelle.
Je les mets sous tes pieds… Fais-je bien, à mon tour ?
Mais, tout en le domptant, je garde mon amour