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amour

Mais lui fait de l’écueil un tremplin et dirige
Sa nage vers le bord. L’y voilà. Le prodige
Serait qu’il n’eût pas fait avidement le tour,
Du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au jour,
Et le tour et le tour encor du promontoire,
Et rien ! Pas d’arbres ni d’herbes, pas d’eau pour boire,
La faim, la soif, et les yeux brûlés du soleil,
Et nul vestige humain, et pas un cœur pareil !
Non pas à lui, — jamais il n’aura son semblable, —
Mais un cœur d’homme, un cœur vivant, un cœur palpable,
Fût-il faux, fût-il lâche, un cœur ! quoi, pas un cœur !
Il attendra, sans rien perdre de sa vigueur
Que la fièvre soutient et l’amour encourage,
Qu’un bateau montre un bout de mât dans ce parage,
Et fera des signaux qui seront aperçus,
Tel il raisonne. Et puis fiez-vous là-dessus ! —
Un jour il restera non vu, l’étrange apôtre.
Mais que lui fait la mort, sinon celle d’un autre ?
Ah ! ses morts ! Ah ! ses morts, mais il est plus mort qu’eux !
Quelque fibre toujours de son esprit fougueux
Vit dans leur fosse et puise une tristesse douce ;
Il les aime comme un oiseau son nid de mousse ;
Leur mémoire est son cher oreiller, il y dort,
Il rêve d’eux, les voit, cause avec et s’endort
Plein d’eux que pour encor quelque effrayante affaire
J’ai la fureur d’aimer. Qu’y faire ? Ah, laisser faire !