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JADIS ET NAGUÈRE

Et de mener ses tristes promenades
Sous un ciel veuf de toutes sérénades
Et qu’une lune morte éclaire assez
Pour expier tous ses soleils passés.
Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable
S’est vu réduire à l’état pitoyable
De tourmenteur et de geôlier gagé
Pour être las trop tôt, et trop âgé.
Du Révolté de jadis il ne reste
Plus qu’un bourreau qu’on paie et qu’on moleste
Si bien qu’enfin la cause de l’Enfer
S’en va tombant comme un fleuve à la mer,
Au sein de l’alliance primitive.
Il ne faut pas que cette honte arrive.

Mais lui, don Juan, n’est pas mort et se sent
Le cœur vif comme un cœur d’adolescent
Et dans sa tête une jeune pensée
Couve et nourrit une force amassée ;
S’il est damné, c’est qu’il le voulut bien,
Il avait tout pour être un bon chrétien,
La foi, l’ardeur au ciel, et le baptême,
Et ce désir de volupté lui-même,
Mais s’étant découvert meilleur que Dieu,
Il résolut de se mettre en son lieu.
À cet effet, pour asservir les âmes
Il rendit siens d’abord les cœurs des femmes.
Toutes pour lui laissèrent là Jésus,