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une image fidèle de sa personne et qu’il lui fît oublier ainsi la maladresse de Rembrandt. La mort de Saskia survint au milieu de ces multiples traverses. Le maître sentit sa vie chavirer. Son existence de joie et de confiance se brisa brusquement. Avec la mort qui entra chez lui, la réalité effrayante et ennemie le saisit violemment à la gorge. Son art aurait pu sombrer tout à coup et descendre des sommets éclatants où sa vision l’avait jusqu’à cet instant maintenu. Heureusement il n’en fut rien. Dégoûté plus que jamais du monde, il se réfugia pour quelque temps dans la solitude champêtre et le paysage enchanta ses yeux. Il le traita comme un visionnaire ; à peine en ses eaux-fortes le vit-il comme il était. Dans ses toiles, la fantaisie la plus entière continue à le séduire. À l’instant même où les van Goyen, les Salomon Ruysdael et les Simon de Vlieger instaurent le paysage hollandais avec ses plus profondes caractéristiques, lui, Rembrandt, semble nier dans ses œuvres tout ce qu’ils affirment dans les leurs. L’Orage du musée de Brunswick apparaît comme un cauchemar où toute l’âme du maître, si bouleversée à cette époque, transparaît. Cette lueur phosphorescente qui éclaire, là-bas, les murailles d’une ville, ces nuées noires, épaisses, violentes, qui bouleversent la lumière du ciel, ces montagnes chaotiques qui semblent chevaucher les unes sur les autres, ces terrains mal établis et mal équilibrés, tout en cette toile défie la réalité vraie. La Ruine du musée de Cassel n’est pas moins étrange. En quel lieu de la terre un tel site peut-il exister ? Un moulin à vent