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déjà à sa vision intérieure, le modifie et pour ainsi dire l’illumine. Les teintes ardentes le séduisent surtout et c’est d’elles qu’il enveloppe la réalité. Quand il peint les premiers portraits de Saskia, sa palette devient riche et somptueuse. Jamais elle n’a brillé d’autant de couleurs. Pourtant, même à cette époque, la lumière enchante plus ses regards que les bariolages, si savants fussent-ils. Il n’est pas un peintre comme Rubens dont toute la joie consiste à déchaîner et à dominer toute la meute des verts, des rouges, des bleus, des jaunes. Pour Rembrandt, la sonorité s’obtient par des moyens très différents. Nous les examinerons en analysant sa composition et sa mise en page. Pour l’instant, qu’il nous suffise de prouver que dès après la Ronde de nuit la floraison de sa palette se restreint, se limite et se concentre. Quelques toiles ne sont plus que des sépias ardentes. Elles ne se colorent plus de toute la gamme du prisme. Les tons profonds, les tons graves et sombres sollicitent son attention et son étude. Il aime à juxtaposer les bruns couleur de bronze, les bistres couleur de plume ou de poil, les noirs luisants, les fauves et les roux enflammés, et c’est par leur orchestration très savante qu’il arrive à des effets prodigieux. Sur leurs basses sonores et puissantes, il plaque les accords des jaunes et des ors, et c’est ainsi qu’il réalise ses nombreux chefs-d’œuvre qui ont nom : les Disciples d’Emmaüs, le Bon Samaritain, la Bénédiction de Jacob, l’Homère, le Saül, le Saint Mathieu. Velazquez prenait les gris pour base de sa peinture, les rehaussant très discrètement de roses et de bleus,