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« Oh ! la canaille, oh ! la damnée,
Avec ses yeux en fleurs fanées ! »


Dans une anse du Vieil Escaut,

Où les doigts d’ombre et d’or de l’eau,
Les soirs de vent,
Jonglent avec la lune,
Elle file, sous un auvent,
Près de son bouge, à murs branlants,

Dont le mystère est sa fortune.

 

On ignore l’âge qu’elle a ;

Suivant qu’on l’aime ou bien qu’elle aime,
Elle est une autre, elle est la même,
On ne sait plus, on ne sait pas.
Elle a deux chiens, elle a trois chats,
Elle possède une kyrielle de rats
Qui font bon ménage avec elle

Et son écuelle.

 

« Oh ! la canaille, oh ! la damnée,
Avec sa tête hallucinée ! »


Qu’on la craigne, qu’on la repousse,

Qu’on soit peureux, qu’on soit altier,
Quand elle entame un mâle, elle le mange : entier
Son désir crû ne s’alentit, ni ne s’émousse ;

Seul la tente l’amour si goulument mordu,