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L’âme de Jean fut à tel point profonde et tendre
Qu’aucun homme d’alors ne la pouvait comprendre
Et que même Marie, à le voir vers son seuil
S’avancer lentement et sourire à son deuil,
Croyait l’apôtre aimé pris de vague folie.
C’est qu’il ne stagnait plus aucun soupçon de lie
Dans le vase chrétien qu’était déjà son cœur.
C’est qu’il avait vaincu toute l’ombre et la peur
Et que, dans l’eau des pleurs, il savourait la joie.
Entre mille chemins, seul, il suivait la voie
Que Christ allait tracer autour de l’univers.
Il faisait son trésor de tous les maux soufferts ;
Quand son pas rencontrait quelques touffes d’épines
Il s’arrêtait et bénissait le noir buisson
D’avoir, pour le salut de tous, percé le front
Et les cheveux sacrés et les tempes divines.
Il bénissait le fer, il bénissait le bois
Qui fournirent la lance et les clous et la croix ;
Il bénissait jusqu’aux bourreaux sanglants et blêmes
Et même, il bénissait, le soir, le Golgotha
Qui, rouge et ténébreux, se bossuait là-bas,
Avec ses rocs dressés comme autant de blasphèmes.