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bus s’en estant approché petit à petit, puis en prenant une cuisse de poulet : « Deussay-je interrompre, luy dit-il, mon travail pour quinze jours, si faut-il que j’en taste, tant je trouve qu’il a bonne mine. — Nous en pouvons encore envoyer querir un autre, repliqua le solliciteur, si le cœur vous en dit. — Ah ! mon Dieu ! reprit le poëte, que ce discours desesperoit, ne me donnez point occasion de violer ma loy davantage : car, s’il y avoit plus de viande, j’ay si peu de pouvoir sur moy que je ne me pourrois empescher d’en manger. » Il eluda donc ainsi la proposition du solliciteur. Neantmoins, comme celuy-cy, qui n’attendoit pas ce renfort, n’avoit fait acheter à souper que ce qu’il luy en falloit, il se trouva que, sa faim n’estant qu’à demy rassasiée, il fut obligé d’envoyer encore querir un autre poulet. Le poëte ne fit pas semblant de s’en appercevoir ; mais, quand il fut sur la table et qu’il eut bien fait de l’etonné : « Ne vous l’avois-je pas bien dit, continua-t-il en se mettant encore après, que je ne me pourrois empescher d’en manger ? »

C’est ainsi que Sibus vivoit le moins qu’il pouvoit à ses despens, et le plus qu’il luy estoit possible à ceux d’autruy ; et ce fut en ce temps-là qu’à force de vendre ce qui n’estoit pas à luy, c’est-à dire les sonnets et les odes qu’il avoit derobés, et d’epargner en bois, en chandelle, et principalement en viande, il amassa de quoy acheter d’une crieuse de vieux chapeaux, des canons de treillis14 et une vieille


14. C’est-à-dire de grosse toile, comme celle dont les paysans et les maçons avoient des habits. (Dict. de Trévoux.)