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maistre des basses œuvres5, qui m’en avoit promis un, me manqua, je m’advisay de me servir de mes aisles et voller où le vent me conduiroit ; ce qu’ayant faict, et poussé d’un bon vent du derrière, le destin me favorisa tant qu’en moins de huict jours je me serois trouvé au royaume de Crocambruse, situé dix lieues trois quards et demye aulne au delà du bout du monde, pays fort fertil et abondant en orties, chardons et espines, sur lesquels croissent des fruicts admirables et fort rassasians. Me trouvant auquel pays, je fus fort estonné pour veoir l’estrange et sauvage façon des habitans d’icelluy, les moindres d’iceux ayans plus de deux cens pieds de mouches de hauteur, tous vestus de nudité, les femmes portant barbes comme les hommes, mais plus bas toutes fois, n’estans honteuses de les monstrer, et les lieux où elles croissent, comme font les femmes de par deçà, qui ne les monstrent qu’en cachette ; mesme y en a plusieurs qui vueillent gaigner gros pour les communiquer, comme si c’estoit chose pretieuse. Neantmoings, je trouvay iceux habitans fort debonnaires et humains envers les estrangers : car, voyans que je n’entendois leur langage, et cognoissans à mes habits de quelle patrie je pouvois estre, me donnèrent pour truchement un jeune homme françois qu’ils disoient y avoir trois cens ans estre


5. Les maîtres des basses œuvres étoient ces maistres escureurs de privés dont il vient d’être parlé. On les appeloit aussi maistres Fifi. V. Le Duchat, notes sur Rabelais, édit. in-12, 1732, t. 2, p. 197.