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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

Je partais de Paris le plus tard possible, à dix heures d’ordinaire, quand on fermait la Bibliothèque, mais à onze heures seulement, quand je pouvais, pour mes deux sous, entrer dans quelque crémerie. Je retardais autant qu’il m’était permis mon départ, par cette raison qu’il me fallait arriver à mon arbre quand personne ne passait plus.

Je me mettais donc en route jusqu’au dernier moment. Oui, le voyage était pénible !

Je trouvais la force de me tenir éveillé dans les rues de Paris, par peur des sergents de ville ; mais je cédais en arrivant sur la route de Vanves dès que j’avais passé la rue du Transit. Plus de police ! La route était déserte, bordée de champs, et il n’y avait sur le parcours qu’une pauvre maison.

Je dormais en marchant. Il arrivait souvent que, le sommeil devenant profond, mes genoux ployaient et je tombais tout à coup. La chute me réveillait et je reprenais ma marche.

Une nuit, à la suite d’une chute de ce genre, je me relève et poursuis ma route. Mais je m’étais mal orienté ; au lieu de tourner à droite, j’avais pris à gauche, et je cherchais en vain ma route.

A travers le brouillard qui pesait sur mes yeux, je voyais des maisons que je ne connaissais pas. J’allais, j’allais toujours. Écrasé de sommeil, je tombai à plusieurs reprises, une dernière fois pour me rele-