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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

d’autre toit que la voûte azurée du ciel ; et, dans les jours qui suivaient ces nuits, j’étais dans un tel état de misère apparente, que jamais personne ne m’a offert son lit, prêté son fauteuil, pour y reposer quelques heures.

Mes époques de vie en plein air, sans interruption, sont l’hiver de 53, presque toute l’année 57, et enfin la belle saison de 63.

De 1853 à 1854, j’ai couché rue des Grès et sous l’Odéon. Rue des Grès, il y avait, en se rendant de la rue de la Harpe à la Bibliothèque, deux ou trois marches au seuil d’une maison ; au haut des trois marches, à gauche, montait l’escalier ; à droite, c’était un mur mitoyen à l’autre maison. Il y avait eu précédemment une porte vitrée qu’on avait enlevée, je ne sais pourquoi, et déposée en biais du côté du mur. Je couchais derrière cette porte.

Je découvris cet asile, une nuit que j’avais fouillé tous les coins sans en trouver un où je fusse à l’abri des regards indiscrets et protégé contre les rondes de la police. Pendant quatre mois j’ai dormi là-dessous, mais dormi d’un triste sommeil !

Les premières nuits, ce fut une crainte affreuse ; je me souvenais que je rêvais tout haut et que j’étais sujet au cauchemar. Si le cauchemar me prenait derrière cette porte vitrée, elle allait tomber sur moi, les carreaux se cassaient ; j’étais découvert plein de sang, arrêté, perdu. Mais je ne me couchais là que quand la fatigue m’étendait à terre comme une masse, et je ne bougeais pas plus qu’un mort.