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LES RÉFRACTAIRES.

hélas ! une vapeur malsaine, non point vraiment une odeur de débauche, mais comme un parfum fatal de liberté. Les têtes ne se troublent pas, mais les esprits se grisent. Après avoir pataugé toute la journée dans la boue — jusqu’au cœur — ils viennent là s’enfoncer dans la discussion jusqu’au cou, faire brûler leur petit verre et flamber leurs paradoxes ; montrer qu’eux, les mal chaussés, les mal vêtus, ils en valent bien d’autres, « ils ont quelque chose là. » Les vaincus du matin deviennent les vainqueurs du soir. La vanité y trouve son compte ; ils s’accoutument à ces petits triomphes, à ces orgueilleux bavardages, à ces dissertations sans fin, aux témérités héroïques. De cette table d’estaminet, ils font une tribune où la chope de Strasbourg joue le rôle du verre d’eau sucrée parlementaire. Ils parlent là, sous le gaz, les livres qu’ils devraient écrire à la chandelle ; les soirées s’achèvent, les jours se passent : ils ont causé trente chapitres et n’ont pas fait quinze pages !

On les appelle des roués, ce sont des dupes ; des débauchés, ce sont des fous.



Qu’il leur arrive un jour de boire un peu de vin et de découper « une dinde, » on crie au scandale, à l’orgie ; « À la Tour de Nesle ! »