Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
l’habit vert.


Ah ! vous souvenez-vous, quand éclata l’orage,
On disait au pays que je n’étais pas sage,
Et j’avais à partir par le convoi prochain
Ou bien à rester seul auprès de vous sans pain.


   On jeta lettre et tout dans la bouche du poêle,
Il restait dans mon sac cinq chemises de toile,
Huit paires de bas bleus qui m’allaient au genou,
Pour cravate… j’avais vos deux bras sur mon cou.
En cherchant on trouva quelques petites choses,
Un chapeau de brigand et des pantoufles roses ;
Les pantoufles serraient mes pieds à les briser,
On ne m’a pas laissé le temps de les user !


Pour la table et vingt francs j’enseignais un gros nègre,
Mais vous, dressant au vol votre main fine et maigre,
Vous chippiez les liqueurs au buffet maternel,
Et l’amour me versait l’absinthe avec le miel.
Et vos lèvres disaient, humides de tendresse,
« Nous mourrons une nuit, petit, d’une caresse. »


   Je vous le disais donc, que je savais encor
Combien de temps, madame, on demeura d’accord,
Combien elle attendit avant d’en prendre un autre,
Combien d’heures mon cœur a battu dans le vôtre !
Un hiver, un printemps, tout d’amour arrosés !
Je compterai les nuits, comptions-nous les baisers ?


Mais je sortis un jour, tout triste de la chambre,
À cinq heures moins dix, le soir du vingt septembre.
Le bon dieu, dans un rêve, avait paru la nuit…
— Depuis cette nuit-là, je ne crois plus à lui. —
C’était mort ; — je n’avais pas un reproche à faire ;
J’avais, tout bien compté, fait une belle affaire.