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L’HABIT VERT.

Caroline, quand il était là, le haïssait souvent ; quand il était parti, se joignait aux autres pour le railler, l’insulter même, mais elle sentait qu’elle avait affaire à plus fort qu’elle, et il n’était pas jusqu’à Guesdon qui ne souffrît de la comparaison.

Si Guesdon fût resté pourtant, son sang-froid, son calme lui servait de bouclier ; et cette cuirasse, dure et froide, Rodolphe eût pu difficilement l’entamer.

Mais le lendemain du départ, Rodolphe, tint le haut bout, et comme il avait su trouver des occasions hardies de soutenir son esprit de son courage, il avait, tout vêtu de vert qu’il fût, une supériorité reconnue.

Ce qui se passa dans l’âme de l’un, dans le cœur de l’autre, je ne sais trop bien, mais le mal, si l’amour est un mal, fit des progrès rapides. Caroline mit son orgueil à paraître conduire et dompter cet irrégulier téméraire, et lui, un matin qu’ils étaient seuls, avec une gaieté pleine de tendresse, lui dit le secret de sa fièvre, lui expliqua comment elle était la muse qui, sans le vouloir, lui dictait ses épigrammes et sa colère, et, prenant sur sa poitrine un carnet qui sentait l’iris, odeur qu’avaient les mouchoirs blancs de Caroline, il lui montra, écrite jour par jour, l’histoire de sa passion pour elle.

Elle sourit, d’un de ces sourires gênés et triomphants qui trahissent la fuite de la vertu et la joie de l’amour, et Rodolphe serra dans ses mains fiévreuses