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L’HABIT VERT.

peut-être d’habileté native, il songea à lui faire la guerre, et sans hésiter, entama le combat.

Ce fut à propos de tout et de rien, à propos des mouches qui volaient pour retomber, hélas ! dans les verres et se noyer dans les huiliers ; à propos de Robespierre et de Pomponette ; des crimes et de la vertu des jésuites et des gendarmes… Rodolphe saisissait toute occasion de contrecarrer celui qu’il avait senti être son ennemi ! Il l’essayait avec audace, et la fièvre qui le remuait, en troublant son sang, excitait son esprit ; il était gai, d’une gaieté qui faisait trou, et son ami l’albinos ne pensait même plus à lui vanter le fumet des plats qui avaient un parfum provençal à tuer des bœufs de Norwège.

On l’écoutait ; pour arriver à toucher son homme, il frappait sur tous, et égratignait à droite, à gauche. On se demandait à la table quel pouvait être ce garçon qui, pour son entrée, prenait des droits pareils ; mais l’albinos était un client sérieux, payant bien et trouvant tout bon ; on ne pouvait, d’ailleurs, se défendre de rire aux saillies vives de cet intrus, et il ne fallait pas plus songer à l’arrêter qu’on n’essaye d’empêcher un clown de tourner quand il exécute un saut périlleux.

Rodolphe faisait tout cela, non pour eux, mais pour elle, pour elle et contre lui !

Elle, c’était Caroline ; lui, c’était Guesdon. Guesdon, l’ennemi, se tenait calme, froid, et s’il était entamé, n’en laissait rien paraître. La verve de Rodolphe devenait plus amère et son accent était