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LES RÉFRACTAIRES.

vivant dans un cabinet de dix francs, sans air, sans feu — sans tabac — en face de soi, pour lutter là seul avec sa pensée, pour faire jaillir de son cœur ulcéré des phrases joyeuses ou des pages sereines. Lutte douloureuse où le doute vient encore donner son coup de poignard !

Ces articles, ces pièces, ce roman, ces vers, quand seront-ils acceptés, imprimés, payés ? Quand ? Dans six semaines, six mois, un an peut-être ! Que de saucisses à chercher ! Seront-ils reçus seulement ? Pour qu’ils le soient, n’étouffera-t-il pas, cet affamé, ses cris les plus éloquents, ses inspirations les plus courageuses ? Ne craindra-t-il pas, s’il ne casse les ailes à ses idées, d’épouvanter les éditeurs prudents, les journaux timides ? Je le vois d’ici lâche devant son âme, jetant des cendres sur sa phrase et des fleurs sur ses haines !

Personne à ses côtés qui le console, l’encourage, l’embrasse ! Rien. Rien que le spectre des hontes bues, des maux soufferts, les yeux qui pleurent, l’estomac qui se plaint ! Ah ! qu’elles sont tristes, ces soirées, entre les murs enfumés des garnis, où, au bruit monotone du vent qui passe ou de la pluie qui tombe, ils égrènent le chapelet des souvenirs cruels que la misère leur cloue au flanc, ces réfractaires ! Solitude qui ne se peuple que de regrets, silence où l’on n’entend que la voix rauque du remords !

Il leur faut les milieux agités et bruyants où leur douleur se perd dans la gaieté des autres…

De cette vie factice, aux joies fausses, se dégage,