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L’HABIT VERT.

et de sa mère ; du père, elle avait je ne sais quoi d’énergique et de résolu, elle rappelait ce qu’avait dû être sa mère avant la chute. Elle parlait, marchait, agissait, en mêlant toujours la grâce à la force. Sa hanche était robuste, mais elle rejetait avec tant de coquetterie la jupe de sa robe grise ! Sa taille, quoique un peu forte, se tordait si souple, quand elle jouait au volant dans la cour ou se dérobait aux hardiesses des pensionnaires !

L’impression qu’elle produisit sur Rodolphe Ardoin fut vive et décisive.

Rodophe, lui, avait dix-sept ans à peine, mais il en portait vingt et aurait voulu faire croire qu’il en avait trente. On s’y pouvait tromper, le soir, quand on apercevait sa figure osseuse et brune, surmontée d’une chevelure épaisse qui tombait sur ses épaules comme la crinière d’un casque. Il avait une voix de cuivre et les yeux ardents.

Petit émeutier précoce, il parlait haut d’ordinaire, cassait les verres, les vitres, froissait les jupes et les gens. Il jouait à l’homme.

Ce soir-là, il arrivait de son pays : un camarade de collège, qui était albinos entre parenthèses, l’avait dirigé sur cet hôtel, non pour y demeurer décidément, mais pour prendre un avant-goût de la table d’hôte du père Mouton qui, pour un franc vingt-cinq centimes, servait, prétendait-il, des repas qui eussent coûté bien des sesterces à Lucullus.

On entra. Le père Mouton, dans un coin, faisait