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LES RÉFRACTAIRES.

oisiveté éternelle une heure pour travailler, écrire, sculpter ou peindre, on les voit promener leur misère à travers tous les débits de prunes et achever d’user leurs manches sur les tables de marbre des cafés ! Nous insultons à leur paresse, nous croyons à leurs vices. — Attendons pour les condamner ; plaignons-les avant de les flétrir ! Ils se font là une santé de quelques heures, une jeunesse d’un moment, ils guettent au passage le souper pour le soir ou le matelas pour la nuit prochaine ! ils jouent avec la tradition. Ils prennent leur demi-tasse avant dîner, puis ils ne dînent pas ; le public s’y trompe, leur estomac aussi. Ils trouvent des glorias ; ils ne sauraient trouver du pain. On peut avouer que l’on manque du superflu, non du nécessaire. — On peut dire qu’on a soif, mais non pas qu’on a faim.

Au café la joie, l’oubli, les rires et les chansons ; là-bas, au contraire, dans la rue triste, à quelque sixième, un taudis, la Sibérie en décembre, les plombs de Venise en été ! On a peine à quitter cette atmosphère tiède et joyeuse, pour remonter jusqu’à son trou, et, arrivé là, se mettre devant sa table avec tout ce qu’il faut pour écrire. L’a-t-on toujours seulement ! Un soir, c’est le papier qui manque, une autre fois l’encrier qui est vide ; combien de demi-volontés, d’intentions presque courageuses, arrêtées ainsi par le sot détail, piquées aux flancs par ces misères, qui chancellent, qui tombent, faute d’un peu de bois dans l’âtre ou d’une bougie dans le chandelier !

Il faut un fameux courage, allez ! pour s’enterrer