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LE BACHELIER GÉANT.

Nous les prîmes et l’on essaya d’y gagner sa vie. Mais non, la misère revint !

Nous nous installâmes pour quelques semaines dans une petite ville du Midi, espérant que nous y ferions des affaires et qu’on pourrait peut-être ajouter un tigre, un ours au personnel.

Nous ne fîmes rien, et avant qu’un mois se fût écoulé, nous étions endettés partout, à l’auberge et chez le boucher, qui nous refusa un matin de livrer la nourriture pour les bêtes avant que nous l’eussions payé.

Que devenir ?

Nous avions annoncé l’entrée dans les cages pour le soir même, jour de fête, et les animaux n’avaient pas mangé. C’était un mouvement terrible contre les grilles, on grognait derrière les barreaux ; ils avaient le sang dans les yeux, le désert dans le ventre.

Je poussais d’épouvantables blasphèmes ; Bêtinet lui-même avait son génie troublé ; Rosita pleurait avec Violette dans ses bras, la pauvre enfant mordait dans un coin de pain bis qui était le dernier de la huche.

J’ai vu dans les cirques que la paille manquait à l’écurie et l’avoine dans la mangeoire ; mais les chevaux attendent.

Dans les ménageries, on n’attend pas.

L’heure de la représentation approchait cependant.


Allions-nous entrer ? C’était une mort certaine.

Rosita court encore chez le boucher qui tenait