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LE BACHELIER GÉANT.

déjà, de passer notre main dans la cage des hyènes et des lions, rassurés par l’exemple des gardiens, qui en agissent avec les bêtes féroces comme des piqueurs avec les chiens. Un préjugé, du reste, cette férocité. J’ai aperçu de ma fenêtre, dans une chambre, bien tranquilles, des femmes de dompteur tricotant, et des lionceaux qui jouaient aux quatre coins avec des oursons farceurs. C’est la panthère qui était le pôt.

Mon cœur battit pourtant le jour où j’entrai pour la première fois dans les cages. Vous le comprenez.


Je voulus, d’abord, m’exposer seul et ne laisser s’aventurer Rosita que si moi j’en sortais.

Je choisis, pour mon premier essai, le lion, celui-là même qui avait à moitié dévoré son maître. — C’est ma nature à moi de plonger au cœur du danger, tout d’abord ; par lâcheté, peut-être, pour en finir d’un coup, mourir ou vaincre.

J’entrai donc.

Derrière la porte du fond entrebâillée, Rosita, armée d’une fourche, regardait ; devant les barreaux, Bêtinet, dont j’allais gagner la vie, tenait une barre de fer et attendait.

Le lion ne bougea point, il leva vers moi ses yeux mélancoliques et se rendormit. La peur me prit en face de ce colosse qu’il fallait troubler ; et peut-être si Rosita n’eut point été là, si Bêtinet n’eût pas été son amant, je serais sorti pour ne pas y rentrer. Mais devant elle, devant lui, je voulais être brave. Ne de-