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LE BACHELIER GÉANT.

Bêtinet, et tout mon latin n’avait servi qu’à me faire battre ; l’abîme était creusé ; je sentis la terre fuir sous mes pieds.

Toutes mes parodies écrites, mes boniments préparés ne valaient pas les improvisations de Bêtinet qui laissait tout au hasard, si bien que les gens même de la baraque, ces blasés, trouvaient plaisir à la parade, et allaient là comme les journalistes aux premières.

Que va-t-il inventer encore ce soir ? disait Rosita aux autres en grimpant sur les tréteaux, sans m’avoir même regardé ou serré la main. Le Piéton courageux applaudissait avec ses pieds, et le Râble mystérieux se redressait sur son espèce de séant pour regarder.

Seul, je me tenais assis et silencieux, n’osant pas voir, parce qu’il était des gestes qui me faisaient pâlir, et que je ne voulais pas qu’on sût ma douleur !

Oh ! quels moments j’ai passés alors ! J’y suis presque fait, maintenant, mais le premier jour quel supplice ! Supplice d’autant plus douloureux que je me débattais dans l’incertitude, que j’avais les fièvres, les angoisses, avec la convalescence et les rechutes de l’homme qui ne sait pas et ne veut pas savoir ! Angoisses mille fois plus tristes que la réalité. Le cerveau se brise à forger des excuses, le cœur, — qui voit clair ! — se resserre, se crispe, s’ouvre et se ferme. Si cela avait duré quelques semaines encore, je serais mort.