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LE BACHELIER GÉANT.

d’or, artistes aux longs cheveux noirs, rôder autour des danseuses de corde et des joueuses de castagnettes, auxquelles on jette d’abord un bouquet puis une bourse. J’avais peur des deux, de la bourse et des fleurs, des fleurs surtout, car Rosita était femme à se griser de tous les parfums.

Ils eurent ensemble un succès sans pareil, et tous les soirs la foule se pressait aux pieds de la baraque, pour assister à la parade et voir les farces de Bêtinet amoureux d’Isabelle.

Bêtinet : c’est le nom du pître, qu’il porte encore ; Isabelle : était le nom de guerre de Rosita.

Ce qu’ils disaient, je l’entendais à peine ; mais quelquefois un baiser chantait sur les épaules de l’amoureuse, et je devenais pâle comme ce matin !

Baiser de singe, c’est vrai, mais qui sonnait douloureusement dans mon cœur !

Le Piéton et le Râble s’étaient aperçus de ma jalousie et l’excitaient à coups de réticences et d’épigrammes. Il me prenait parfois des envies de me lever et d’aller voir ; mais mon état me le défendait : ma grandeur m’attachait au rivage !

Pourtant je ne laissais rien paraître de mes craintes, tant j’avais peur, et je redoublais pour Rosita de tendresse et d’affection ; je l’accablais de mon amour. Faute cruelle ! irréparable ! Il ne faut jamais laisser croire aux femmes qu’on les aime de façon à ne pouvoir se passer d’elles ! Lâcher l’aveu, c’est user l’ascendant, tomber en quenouille, abdiquer, et à moins d’avoir affaire à un ange — on dit qu’ils sont rares —