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LE BACHELIER GÉANT.

dans — comment dire ? des danses passionnées et enivrantes.

La voyez-vous asseoir sur un tabouret ce derrière étrange et dont personne n’a pu soulever le voile, se balancer comme un tronc d’ours, et, tout d’un coup, partir, rouler, tournoyer, et ne s’arrêter que quand la foule étonnée dit : Assez, assez ?

Alors, pour le dessert, elle vous offre de venir écouter son ventre, où l’on entend, dit-elle, comme le balancier d’une horloge !

Elle a donc avalé une montre ou caché là une pendule ?

Elle vivait amicalement alors avec le Piéton courageux et s’appuyait, fière, sur ses mollets. Coquette d’ailleurs, exigeante, impérieuse, portant les culottes, si je puis appliquer cette locution à une femme qui n’a pas de jambes !

Elle avait eu jadis deux enfants dont elle parlait au public avec orgueil : « J’ai deux fils bien portants et conformés comme vous et moi. »

Voilà les deux côtés de l’angle dont j’étais le sommet ; les gens avec qui je devais vivre et que j’appelais du doux nom de frère et de sœur.

Ces deux êtres me méprisaient cordialement et me tourmentaient à plaisir.

Le Piéton courageux marchait sur mes bottes, m’égratignait les mains, le Râble mystérieux me mordait aux jambes ; j’avais fort à faire à me débarrasser de leurs étreintes, et ces Barrabas mutilés gênaient singulièrement mon Calvaire.