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LE BACHELIER GÉANT.

Tous les malheureux qui s’en vont sous les fenêtres, dans les cours, jongler, chanter, sauter, qui ramassent à terre le sou jeté dans du papier, ceux qui, devant la porte des cafés, demandent à se disloquer ou à se démembrer humblement, tous ceux enfin qui vont quêtant l’obole sous le ciel, — des mancheurs.

Leur patrie, c’est la rue ! la rue, cet asile de la vieille banque : des bohémiennes à la peau tannée, au jarret maigre, qui dansent encore sur les œufs et se trémoussent à la manière des gitanas, en irritant de leur doigt sec la peau des tambours de basque : l’asile, hélas ! des clowns cassés, des pîtres vidés, des monstres manqués !

Pauvres gens, qui n’ont pour capital que leur souplesse et leur courage, mangeurs de vache enragée et de poulets crus, qui avalent des sabres, boivent du plomb, mâchent du zinc, font la grenouille, le serpent, la perche, le grand écart, et soutiennent honorablement leur famille — sur les cuisses.

C’est dans cette armée triste de la bohème que je m’engageai.

Je descendis des hauteurs dans la rue, et, pour vivre, je fis de tous les métiers.

Je commençai par tenir la perche.

Au haut d’un bâton que porte, arc-bouté sur ses jambes, un homme aux reins d’hercule, un autre homme monte ; puis, arrivé au haut, fait de la gymnastique, le drapeau de zinc, le bras de fer, enfin se pose à plat ventre sur le bout même, et, ainsi placé,