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LE BACHELIER GÉANT.

C’était lui, nous le savions bien ! Mais Rosita, tirant un canif de sa poche, en plantait la lame dans un os du monstre, qui se redressait sur son séant, et comprenant d’instinct, les yeux fixes, jetait pour réponse aux rieurs effrayés son boniment funèbre, et répétait en retombant épuisé : « Je ne dors pas depuis dix ans ! »

Le secret de son insomnie, il était dans sa force terrible de résistance et dans son épouvantable énergie ! Il y avait une âme dans ce cadavre ; c’était un homme, ce fantôme ! Il sut mentir jusqu’à fatiguer la patience et même égarer le génie ; il a mis les sceptiques au défi, les savants a quia, trompé la police, roulé la science.


Nous seuls et sa maîtresse nous l’avons vu dormir ! « Sa maîtresse ? » demandai-je au géant, épouvanté.

— Oui, sa maîtresse ! dont il eut des enfants, et qu’il battait le soir quand elle lui cachait l’eau-de-vie : l’eau-de-vie qui était l’huile de cette lampe, et qui soutenait cette agonie. Sans ses vices, peut-être il vivrait encore ; il est mort d’avoir trop bu et trop aimé !

Tôt ou tard pourtant il serait tombé épuisé, car le secret de sa maigreur étrange était dans un mal affreux, une tumeur sous la cheville gauche, qui mangeait sa chair et buvait son sang !

Un jour cependant, la plaie n’eut plus rien à dévorer, la vie s’était écoulée tout entière par le trou