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LE BACHELIER GÉANT.

et, sur la grand’route éclairée par la lune, conduisais la caravane…


II

Si vous voulez me suivre maintenant, dit le géant qui reprit haleine, vous allez traverser avec moi ce monde curieux qu’ont mal connu vos romanciers et que calomnie toujours la tradition. J’en sais les joies étranges, les secrets comiques ; ce que je vous raconterai sera vrai : je l’aurai fait ou au moins vu, j’en ai vécu et j’en mourrai ; je serai peut-être albinos à ce moment-là, pour utiliser mes cheveux blancs. Puisque nous sommes par les chemins, je vous parlerai d’abord du voyage.

Vous en avez vu passer de ces caravanes, nom poétique de la maison qui marche. On dirait un fourgon qui emporte des vaincus dans l’exil. Parfois une fenêtre de la prison qui roule s’entr’ouvre et laisse passer un front bizarre. C’est un des hôtes qui prend l’air : demain il faudra qu’il se cache. Ici, dans le silence, sur le chemin désert, il peut lever la tête au ciel, os sublime, nul ne le voit… que le Dieu juste qui en a fait un monstre.

Par intervalle, on croit entendre un bêlement, un grognement ensuite. C’est la bête curieuse, chrétien ou phoque, qui demande son pain.