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LE BACHELIER GÉANT.

minute qu’elle arrivât, comptant les secondes, brûlé par la fièvre, désespéré, jaloux !

Malheureux ! je n’eus pas le courage de lutter encore, et je courus, presque en plein jour, à la caravane.

Elle fit l’étonnée, me demanda si j’étais fou.

« Oui, » lui criai-je en me jetant à ses genoux.

Elle me releva avec un geste plein de pitié et rentra dans la voiture en fermant la porte sur elle.

Je frappai, elle ne répondit pas.

« M’avez-vous ouvert ? » disait-elle à travers la petite fenêtre aux volets verts.

J’allai pleurer dans les bras mous du disloqué ; je voulus acheter Fouille-au-Pot ; je fis des bassesses, je fus lâche.

Enfin, on me pardonna et je montai.

Quand je sortis le lendemain, j’étais perdu ! Elle m’avait traité de haut, j’avais prié, tout était dit ; et je portais ma chaîne au cou, aussi solide et courte que celle qui attachait le chien entre les roues.

« Nous partons dimanche, m’avait-elle dit en se levant.

— Partir ? mais moi ! qu’allais-je faire ?

— Rester, en prendre une autre, à moins, ajouta-t-elle en riant, que tu veuilles nous suivre. »

Je ne répondis pas ; mais, deux jours après, j’aidais Fouille-au-Pot à serrer les malles, et pour démarrer la caravane embourbée, je me meurtrissais l’épaule contre l’essieu.

À minuit, ce soir-là, c’est moi qui tenais le fouet,