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LE BACHELIER GÉANT.

touche, dans ce métier où l’on se tutoie, livré sa beauté à des hommes dont le souvenir ne fût pas mort, dont je n’aurais pas étouffé l’image.

Je lui parlais quelquefois de mes craintes, elle se jetait à mon cou et se mettait à rire.

Cependant mes habitudes avaient changé : au collège, on s’en aperçut ; pour comble de malheur, nous fûmes rencontrés un soir dans la campagne et reconnus. Le bruit courut la ville, on amplifia, la fantaisie alla son train, on dit qu’on m’avait aperçu vêtu en saltimbanque, soulevant des poids, demandant la patte à des veaux à deux têtes.

Les élèves me dessinèrent sur le tableau, en sauvage, habillé de plumes, avec Rosita près de moi. Le principal me fit appeler et m’avertit que j’eusse à faire cesser ces bruits par un changement d’habitudes radical et public, ou bien on me demandait ma démission.

Je sortis de chez lui bouleversé, ahuri ; la menace qu’il avait proférée me faisait ouvrir les yeux sur ma situation, la folie de ma conduite m’apparut, et j’entrevis le gouffre à mes pieds !

Je devais, le soir, aller coucher dans la caravane, je n’y allai point.

Le lendemain on frappa à ma porte : je reconnus le signal de Rosita, je ne lui ouvris pas ; elle partit.


Je passai deux jours sans la voir, craignant, les premières heures, d’avoir de ses nouvelles, me jurant que c’était fini ; le second jour, attendant à chaque