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LE BACHELIER GÉANT.

blants de naïveté sous ses oripeaux de saltimbanque. J’adorais sa naïveté ou son hypocrisie.

Le contraste était singulier : je crus avoir affaire à une Marion Delorme ou une Manon Lescaut, et je logeai dans cette poitrine d’aventurière, sous ce maillot jaune, un cœur de femme aimante, que je voulus faire battre à mon profit, sans songer que, sur ce chemin, après avoir été Didier, on peut devenir Desgrieux.

Elle est moins rare pourtant qu’on ne pense, cette honnêteté des femmes dans les baraques, sur les champs de foire. Ce qui me séduisit chez Rosita, je le rencontrai vingt fois sur mon chemin. C’est un préjugé qui voue à la corde et au vice cette famille de voyageurs ; ils subissent le sort éternel des vagabonds, dans l’histoire du monde : on accuse toujours du crime ceux qui sont passés.

Mais, dans le monde des saltimbanques, on est vertueux comme ailleurs, et, croyez-moi, j’ai vu des femmes qui, sur la place, faisaient le grand écart, n’en pas commettre le plus mince dans la coulisse, et être des prodiges de pudeur dans la vie privée.

Toujours est-il que Rosita ne semblait point comprendre, et moi je n’osais avouer.


Cependant je maigrissais à vue d’œil : mes yeux, où montait le sang, luisaient sous mon front pâle, comme au bout de la gaule immense des allumeurs la flamme rouge de la lanterne, et avec mes habits, flottant sur mon corps lâche, j’avais l’air, dans la