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LE BACHELIER GÉANT.

qu’elle montrait à son pître et ses musiciens ce grand fantôme qui fuyait.

Mais le lendemain j’étais là quand, avant la classe du soir, la représentation commença. Je revins le surlendemain et les jours suivants, et chaque fois elle me regardait, chaque fois je disparaissais, honteux et plus malade, faisant crier le groupe que je dérangeais en partant. J’allais rôder dans la campagne, ma classe finie, et j’avais la fièvre dans le cœur et le feu dans la tête : on dit pourtant qu’il fait frais sur les cimes !

Le hasard s’en mêla : peut-être dois-je dire que je l’aidai un peu. Un jour, après la retraite battue, je me trouvai, au détour d’un vieux mur, en face d’une grande voiture peinte en jaune : c’était la maison des saltimbanques. On avait vu ma tête par-dessus le mur, et Fouille-au-Pot, le paillasse, avait averti Rosita.

Je diminuai d’un pied en la voyant tout d’un coup en face de moi, et je devins rouge comme le caleçon du pître. J’étais venu là poussé par le désir aveugle, n’ayant pas conscience de ce que je faisais, sans avoir préparé une entrée, une excuse, et je ne savais plus comment expliquer ma présence, si je devais rester ou fuir. Mais elle, souriante, combla l’abîme, me reconnut ; Fouille-au-Pot jeta, comme un pont, un calembour salé, la glace se fondit et nous parlâmes.

J’inventai que j’avais un livre à faire sur les saltimbanques, j’ajoutai que, grâce à ma taille, j’étais un