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LE BACHELIER GÉANT.

Ces mots comiques m’étouffaient, mon cœur se serrait, et je l’ai toujours eu trop gros pour ma taille.

Pourtant ma jeunesse criait dans mon corps si long ; la solitude m’était lourde, la nuit je faisais des rêves d’amour — mélancolique qui étouffait dans une peau d’Hercule.

Il me vint une idée un jour ; je demandai en mariage la fille d’un collègue chez qui l’on mangeait plus de pommes de terre bouillies que de rosbif, et les répétitions s’y payaient en fromages. J’avais mis un pantalon assez long et apporté le compte de mes économies. La jeune fille me rit au nez et je sortis à reculons en laissant de mes cheveux au plafond et sur le dessus des portes.

C’était la première démarche, ce fut la dernière, et je rentrai silencieux dans mon obscurité. Il m’arriva quelques épîtres, des lettres qui sentaient l’ambre gris me donnèrent des rendez-vous. J’y allai tremblant, j’en revins honteux. On m’appelait comme on appelle un monstre, on voulait voir comment était fait un géant. Une ou deux fois on me rappela, je n’y retournai point, et j’attendis qu’un accident me diminuât ou que je fusse voûté par le chagrin.

Ah ! bien des fois, quand je faisais prendre l’air à mes six pieds cinq pouces, le soir, sous les vieux marronniers, l’homme parlait, le géant faisait relâche, et redressant ma grande taille, je levais les bras au ciel. Mon ombre se détachait immense aux rayons de la lune sur le sable jaune, et allait faire peur aux couples qui parlaient bas sous les grands arbres.