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LE DIMANCHE

mies éclairées au feu des passions sottes ou grandes, la cupidité, l’ambition, l’amour…

Dirai-je les fiacres pleins, les omnibus complets, les bureaux de tabac encombrés ? Les chevaux sont sur les dents, les conducteurs n’entendent pas, il pleut des cigares d’un sou !

Sur les places, les saltimbanques tordent les reins à leurs enfants ; devant l’obélisque, des opticiens râpés enseignent des astronomies révolutionnaires et montrent la lune aux passants.

À travers cette foule, tortillent comme des serpents bruns des bandes de collégiens abrutis, conduits par un pion à barbe rouge, et précédés d’un domestique cagneux en habit de préfet à collet groseille. Deux ou trois petits mulâtres font tache dans la bande. Pauvres enfants ! pauvre homme ! plus à plaindre encore que moi !

Ils sont prisonniers, je suis libre !

Libre ?

Non, tu ne l’es pas, rôdeur au paletot chauve, au chapeau rougeâtre ! Tu passes triste, honteux, au milieu de ces promeneurs en toilette neuve ; tu as peur de rencontrer l’ami riche, le protecteur puissant ; tu n’oses regarder en face les belles créatures qui flânent par là, dans leur cuirasse de soie et de velours ! Tout le monde a l’air heureux ici, les braves gens et les filous, les élégants et les grotesques, les artistes et les notaires, les gandins aux fines moustaches et les souteneurs aux gros favoris, les impures célèbres et les ouvrières modestes, les pères de